De Flora à Mohammed

Voici un exercice intéressant que j’ai dû faire pour mon cours de philosophie. Nous devions prendre un philosophe et nous mettre dans sa peau et le faire réagir à une situation contemporaine. J’ai choisi Flora Tristan, l’une de mes idoles, qui réagit à Mohammed ben Salmane le prince héritier de l’Arabie Saoudite qui prétend vouloir moderniser son Pays. Voici les paroles que j’imagine Flora transmettre à cet homme. 

Cher Mohammed ben Salmane, j’espère que cela ne vous gêne pas que je vous appelle ainsi? Après tout, on ne me connaît pas pour ma grande politesse, plutôt pour mon charme, mon charisme et mon franc parlé. Laissez-moi me présenter, je me nomme Flora Tristan. Vous me connaissez sans doute sous le nom de la Voyageuse indignée ou peut-être celui de la Paria? Peut-être ne me connaissez-vous pas. Si c’est le cas, vous le devriez. J’ai beaucoup à vous transmettre. Comme vous, je me suis battu pour le progressisme et je pourrais être pour vous un modèle, même si vous avez déjà sous les yeux de grands modèles féminins, puissants et importants, que vous devriez d’ailleurs considérer et non pas emprisonner. Chose certaine, l’histoire des femmes ne vous passionne pas. Je vous mets donc en contexte. Je fais partie de ces femmes « rebelles » qui, à une certaine époque, ont créé un profond sentiment de malaise, d’impuissance et d’inquiétude chez l’homme en critiquant le monde dans lequel nous vivions. On m’a jugé nuisible et à faire taire. Connaissez-vous ce sentiment? Je crois savoir que vos problèmes d’État, vos citoyens nuisibles, vous les faites taire rapidement. Quoi de mieux qu’un petit meurtre déguisé ou une exécution sommaire pour taire les problèmes. Mais voilà que vous vous dites progressiste et c’est la raison de ma lettre, car je n’en crois pas un mot. J’ai toujours porté un grand intérêt à l’Islam qui me fascinait. Aujourd’hui, ce qu’on fait en son nom m’angoisse, me dérange et me pousse à interroger quelques éléments de votre « progressisme ». 

Progressiste autoaffirmé voulant mettre fin à la Grande Noirceur de l’Arabie Saoudite, vous dites désirer changer la réputation de votre pays par votre plan Vision 2030 et ses réformes. Mais qu’est-ce qu’un progressiste au juste? Il est généralement admis que le progressisme signifie ce qui avance, ce qui participe au progrès et qui est favorable à la cause sociale. Pouvons-nous réellement imaginer un progrès social s’accompagnant de répressions? N’est-ce pas en totale contradiction? Au nom de la liberté, vous enfermez et vous tuez. N’est-ce pas plutôt de la tyrannie? Chaque violation des droits humains vous éloigne à mes yeux du monarque éclairé.

Mais vous êtes un fin renard. Lorsqu’on craint une révolution, pourquoi ne pas la faire soi-même? Plus besoin de révolution, de révolte, de manifestation, car vous vous affirmez sauveur du peuple qui s’engage à lui offrir ce qu’il souhaite. C’est évidemment des paroles en l’air de manipulateur, mais certains vous croient. Je ne peux cependant être bernée par vos belles paroles et votre sourire forcé. Vous masquez votre régime de terreur par quelques illusions de progressisme, vous détournez l’attention alors même que vos commandos font taire vos détracteurs de par le monde et banalisent la valeur de la vie, comme celle de Jamal Khashoggi. Mais à quoi servent les révolutions? Quel est leur but? Elles visent à plus de liberté, plus d’égalité, plus de justice et moins de corruption. Au vu de ces éléments, croyez-vous être en mesure d’offrir ce que désire votre peuple et de rester à l’abri de ses doléances présentes et futures sans jamais partager le pouvoir?

Quels sont les besoins de votre peuple? Le savez-vous non seulement? Dans Le tour de France, où j’ai publié mes observations sur la société française faites dans un de mes périples, vous découvrirez que pour parler au peuple, il faut d’abord le connaître. L’avez-vous rencontré, observé et écouté? Connaissez-vous son mode de vie, ses préoccupations et ses douleurs? Comment pouvez-vous prétendre à vous seul comprendre tout un peuple alors que vous êtes assis sur le pouvoir que votre père vous a légué, non pas parce que vous démontrez des habiletés à la gouvernance, mais parce que votre mère était sa préférée? Quels sont les critères pour être un bon dirigeant, un bon monarque? La monarchie est-elle un bon régime? Selon Aristote, elle est une forme de gouvernement caractérisée par l'unicité du titulaire du pouvoir, mais aussi par l'exercice de ce pouvoir au bénéfice de tous. Exercez-vous le pouvoir pour le bien de tous, ou pour quelques amis du régime et influences étrangères? Vous devrez inévitablement réfléchir à la question de la structure politique de votre pays dans votre Vision 2030. Votre monarchie peut-elle assez partager le pouvoir et être près du peuple pour être progressiste?

Vous savez, j’ai beaucoup voyagé, surtout pour une femme de mon époque. C’est grâce à mes voyages que je me suis mise à l’écriture. J’ai appris à observer, à analyser ce qui se passe sous mes yeux. Mon premier voyage fut au Pérou, pour me faire reconnaitre comme étant la fille légitime de mon père. Légitimité que je n’ai malheureusement pas obtenue. J’explique mes aventures dans Les pérégrinations d’une paria. On a contesté ma légitimité en tant que fille, mais jamais votre légitimité au trône. Ne le devrait-elle pas? Le droit de naissance vous procure-t-il le droit au trône? Où sont la justice et l’égalité dans tout ça? Où est le progrès dans cette façon de faire moyenâgeuse? Vous savez que cette question, qui a emporté bien des monarques avant vous, vous rattrapera. Vous y réagissez d’ailleurs par la violence comme plusieurs l’ont fait. Vous devriez plutôt envisager l’errance du voyage afin d’observer et d’analyser le monde qui vous entoure, de vous confronter aux réalités vécues hors de vos palais dorés. Vous y gagneriez en vertus et en légitimité.

En accompagnant vos réformes de répressions, vous démontrez votre déni de la liberté d’expression. Vous avez emprisonné et torturé systématiquement tant les progressistes, tel que les militantes féministes – comment avez-vous osé ?! –, que les ultraconservateurs, ces religieux qui critiques vos réformes et vous accusent de contrevenir à l’islam. Je suis sensible à toutes les oppressions. Je suis madame colère! Je m’indigne contre la monarchie et la domination masculine. Comme ces femmes que vous avez enfermées depuis 2018, je militais pour la fin du patriarcat. Si je n’étais pas morte, me torturiez-vous et m’assassineriez-vous pour vous avoir adressé cette lettre? Tout comme vous, mon mari était contre la femme qui lève la voix et dit ce qu’elle pense, car il avait l’impression de perdre le contrôle. Il préférait me voir morte plutôt que de me voir gagner le divorce. Il tira sur moi avec son révolver, me battre ne le suffisait pas, et deux balles n’ont jamais pu m’être retirées. C’est à elles que je dois ma mort. Pour vous, un peuple qui dit ce qu’il pense est un peuple qui dérange, et vous tirez sur lui à coup d’intimidation et de terreur. Je n’appelle pas cela être un progressiste. Je vous vois davantage comme le bourreau de tout un peuple. N’oubliez pas qu’à chaque voix que vous taisez, vous muselez une idée, une analyse, une critique, et vous vous appauvrissez. La liberté d’expression assure à la gouvernance de connaître la pensée de son peuple. À continuer comme vous le faites, vous finirez par être seul à penser l’avenir de votre château de sable.

Je crains réellement pour l’avenir de votre peuple sous votre règne. Libérez-le de votre emprise, laissez-le parler et manifester! Arrêtez d’emprisonner les femmes qui exigent les mêmes droits que les hommes. Soutenez-les. Abandonnez votre droit à la couronne pour donner la chance aux citoyens d’élire ceux qui le gouvernent. Si vous avez bien lu cette lettre, d’ici 2030 vous aurez doublé la population active de votre pays, fait découvrir bien des cerveaux saoudiens au monde, modernisé la politique et l’économie de l’Arabie Saoudite; et vous marquerez l’histoire. 

Soyez celui qui change les choses, pas seulement celui qui le prétend… 
Flora Tristan


Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Une littérature. Une aventure!

Misère et dialogue des Bêtes de Jean-Marc Desgent

Check-point